Il s'agit de succès - Yoann Grange Blog

Il s'agit de succès

Publié le 17/12/2020

C’est bientôt la fin de l'année. Qui plus est, la fin de 2020, année haute en couleurs tant sur le plan professionnel que personnel pour beaucoup de personnes. Je vois déjà arriver de nombreux articles-bilans sur cette année. Quelles leçons pouvons-nous en tirer ? Que retenir de la crise ? Comment vivre avec la crise qui arrive ? Ne vous emballez pas, tous ces articles seront écrits par des personnes encore en vie et qui auront suffisamment de temps pour les écrire. Leurs conclusions vous seront-elles utiles ? Le takeaway de leurs posts vous évitera-t-il de tomber dans la morosité qui déborde de nos poubelles noëlesques ? Si vous avez le temps de les lire, c’est que vous ne vous en sortez déjà pas si mal. Rassurez-vous, l’article que vous avez commencé à lire posera, lui aussi, plus de questions qu'il n’apportera de réponses. Est-ce que l’intérêt d’un article ne réside pas plus dans la qualité des questions qu’il pose que dans les réponses qu’il prétend apporter ?

Depuis longtemps, le moment de la fin de l'année est celui de la remise en question. C'est comme ça, on n’y échappe pas. Faire le bilan de l’année qui s’est écoulée est quelque chose de naturel. Cela nous ramène à notre condition d'humain, de mortel, au temps qui passe. En d’autres mots: à la question de la mort. Si la mort est une angoisse pour certains, elle est aussi un moteur pour d'autres. Pour d’autres encore, elle peut être les deux ; et c'est probablement la situation la pire, car elle les fait à la fois avancer et reculer: donc stagner.

Peut-on dire que 2020 nous a fait avancer ? Ou bien reculer ? Stagner reste vraisemblablement la réponse la plus globale. La stagnation possède un avantage: celui du questionnement. Et cette année, je prédis que les articles-questions vont être aussi nombreux que les remises lors du Black Friday. On sait que c’est mal et que ça ne sert à rien mais on n’arrive pas à s’en empêcher.

De mon côté, suite à une longue discussion que j'ai eue sur Twitter avec différentes personnes autour du sujet du succès :

https://twitter.com/yoanngrange/status/1337028621601558529

Je pense qu'il est préférable de s'attarder un peu plus sur la définition personnelle du succès avant même de faire le bilan d'une année. Comment peut-on savoir si une année est positive ou négative, réussite ou fiasco si on ne sait pas définir pour soi-même les critères de ce succès.

Vous l’aurez probablement anticipé: il existe une multitude de définitions personnelles du succès. Faites-vous la vôtre, faites votre marché, sortez des sentiers battus. Peu importe, voici une liste raccourcie des dominantes parmi mes followers.

La succès heureux

La définition majoritaire est celle qui est liée au bonheur. En résumé, si je suis heureux, j'ai du succès ; ou bien, ma vie est un succès donc je suis heureux. Cette définition à la fois sage, universelle et propre à chacun a le mérite d’y répondre rapidement. Je n'ai pas à chercher plus loin puisque je suis heureux. Cette définition n’en est finalement pas une car elle répond à la question par une autre question qui serait: qu'est-ce que le bonheur ?

Pour ma part, succès et bonheur sont probablement deux choses totalement différentes, pas forcément opposées et potentiellement complémentaires. Je peux être heureux et ne pas avoir de succès, je peux avoir du succès et être heureux, je peux être malheureux et sans succès et je peux aussi avoir les deux, même si cela semble, a priori, assez rare.

Le succès d’être libre

La deuxième définition qui arrive en tête est celle de la Liberté. Je suis libre donc j'ai du succès. Libre de faire ce que je veux, libre de choisir mes projets, libre de travailler avec qui je veux... Bien souvent, cette liberté est plus liée à la sphère professionnelle qu'à la sphère personnelle. Contrairement à celle du bonheur qui semble plus liée au monde personnel qu’au monde professionnel.

Cette liberté est également souvent synonyme de tranquillité ou de “peinardise” en quelque sorte. Puisque je suis libre, on ne m'embête pas. Et comme on ne m’embête pas, j’ai atteint ce que je considère comme une réussite. Loin d’une opposition à la privation réelle de liberté, elle est est plus proche de celle du choix.

Personnellement, bien que la philosophie du choix représente un avantage indéniable pour vivre sa vie et assumer chaque chose (puisqu’elle est le fruit d’un choix personnel), elle me semble déconnectée de la réalité où l’on choisit des choses mais certaines choses sont forcément subies car le fruit de la vie en société. Si j’ai le choix, je vais forcément réussir. Si je choisis mes contraintes, mon barème, mes délais et que je définis ce qui est attendu, le risque d’échec est minime. Si je ne tiens pas compte des choix des autres, je vis seul. Si je suis seul, qui juge le succès ?

Le succès comme état

La troisième définition personnelle qui est relativement présente dans les réponses est celle-ci : le succès est volatile. Il ne dure jamais. Il est donc inaccessible. Il existe réellement un instant puis disparaît. Il est très lié à la notion de projet, de tâche ou d’accomplissement momentané de quelque chose. Il implique la “finitude” des choses. Je considère qu'un projet est un succès ou non une fois qu'il est fini. Soudainement, le succès s’estompe. Ça y est, ce n'est déjà plus un succès. Ce qui était le but, l’objectif, s’efface. Puisque l’absence de but est difficile à envisager, il faut commencer à considérer un nouveau projet, avec un nouveau but. Cette volatilité du succès nous ramène au mythe de l’éternel recommencement de Sisyphe ou tout simplement à la question universelle: d’où venons-nous, où allons-nous ?

Personnellement, cette définition du succès me semble à la fois proche de la réalité et tellement insatisfaisante que l’envisager comme mode de fonctionnement serait plus pernicieux que salutaire.

Le succès glorieux

Il y a évidemment une autre définition personnelle du succès qui serait, disons, plus populaire et majoritaire, et qui a été assez peu représentée parmi les parties prenantes à la discussion. Il s’agit de celle de la réussite professionnelle globale: avoir des responsabilités, gagner bien sa vie, disposer de perspectives professionnelles intéressantes. Pour d’autres encore, tout simplement être connu, être célèbre, donc reconnu. J'ai du succès car les gens me reconnaissent dans la rue. J’incarne le succès car je coche les cases d’une matrice du jugement social.

Bien que j’imagine cela satisfaisant dans une certaine mesure, je ne m’inscris pas dans cette optique. Viser cet objectif serait pour moi s’inscrire dans une représentation du succès, pas forcément dans sa conquête ou dans l’établissement pérenne de ce dernier. On est ici plus dans l’avoir du succès que dans l’être du succès.

Le succès du bien commun

Une définition personnelle qui m'a interpellé est celle du bien commun. C'est-à-dire qu'il existerait un bien commun absolu, jugé comme bien à la fois par moi-même mais aussi par la société et dont l’atteinte serait le succès. Si je prodigue du bien commun, alors j'ai du succès. Le simple fait d’oeuvrer pour le bien, sans forcément l’atteindre, est en soi une forme de succès.

Le problème que cela me pose est que la société, tout comme moi-même, pouvons nous tromper sur ce qui est bien. Notamment parce que les choses changent et que, accessoirement, le changement s’accélère. Ce qui était bien un jour ne l’est plus forcément demain. On me répond que c'est une excuse pour ne rien faire et que quand quelque chose est bon (ou bien) il l’est fondamentalement, et donc, l’est depuis toujours et le sera pour toujours. Comment juger d’une réussite sur un critère potentiellement biaisé ? Comment bâtir le succès sur un échec de jugement ?

Cela nous ramène à la fameuse discussion entre Parménide et Héraclite. Le premier maintient que tout est permanent et le second que tout est changement. Ils se rejoignent lorsque le premier admet que puisque le changement est permanent, la permanence prévaut. Le second reconnaît que la permanence ne peut exister sans le changement (puisque tout doit s’opposer pour être).

Cette définition est probablement la plus intéressante car c'est celle qui apporte le plus grand nombre de questions.

L’échec réussi

Une autre définition intéressante du succès est celle qui l'oppose à la notion d'échec (très Héraclitienne pour le coup). Les personnes qui parlent probablement le mieux du succès sont celles qui ont échoué un grand nombre de fois ou bien qui ont surmonté des épreuves considérées importantes par la société. Le succès n'est-il pas résumé dans le fait d’échouer régulièrement mais de garder sa motivation inlassablement ? Mon succès n'est-il pas de ne jamais lâcher ? Suis-je en train de réussir car l'échec me dynamise ? “Ce n’est pas un échec, ça n’a simplement pas marché” comme le pensent certains.

L’accumulation d’échecs n’est pas en soi le succès mais plutôt la capacité que nous avons à les dépasser régulièrement. Le succès n’est pas de tomber souvent mais de se relever à chaque fois. Toute une mythologie visuelle, entretenue par les films de genre, fait (inlassablement) la promotion ce mythe. Cette définition ne serait-elle pas à la fois la plus vertueuse mais également la plus difficile à atteindre puisqu’illimitée ?

Le succès collectif

Il y a aussi de nombreuses personnes qui considèrent que le succès est forcément collectif ; que le succès individuel n'existe pas. Le succès que j’atteins, même seul, n’existe pas car il ne peut être reconnu comme tel que par le regard des autres. Le succès n'existe que parce que le collectif existe. Nous ne sommes pas limités à nous-même. Nous devons le succès aux autres. Seul l’autre peut nous autoriser au succès.

Dans la même fibre, un succès atteint seul sera toujours moindre qu’un succès atteint à plusieurs. Voire moindre qu’un succès dans lequel notre seul apport aura été de faire travailler les autres ensemble, sans travailler soi-même.

Cela me rappelle une conférence avec Elon Musk en 2013 où lorsqu’on lui demande:

  • - 5 enfants, plusieurs entreprises à succès, la volonté de coloniser Mars, tout vous semble réussir. Pourtant, nous imaginons que vous devez rencontrer des difficultés. Quelle est la plus grosse difficulté que vous rencontrez ?
  • - Parfois, j’ai du mal à faire travailler les gens ensemble.

Le succès est surtout individuel et donc pluriel

Il existe plein d'autres définitions personnelles comme celle-ci par exemple, que je vous laisserai juger par vous-même:

https://twitter.com/V4rp1e/status/1337159980491956227

En dehors du fait d'avoir déjà atteint un certain nombre des critères susmentionnés, je ne considère pas pour autant que c'est un succès.

Si on revient à la définition du succès comme un état lié à l’atteinte d’un objectif, on se rend compte que sa définition est forcément personnelle. Les objectifs seront personnels, le succès qui en découle aussi. Si la définition est personnelle, elle est donc variée, plurielle et évolutive. Le succès de l'un ne sera pas forcément le succès de l'autre. Choisir une définition universelle ou majoritaire de ce qu’est le succès est un biais. Le succès, et par conséquent ce qui le définit, est différent selon les personnes. Cela est probablement lié avec la définition du succès collectif. Est-ce que le plus grand succès n’est pas finalement celui de conjuguer les définitions individuelles autour d’un objectif commun ?

Le succès gloubiboulga

Certains même vont jusqu'à considérer que le succès est quelque chose de protéiforme qui réunit à la fois la collectivité, la définition personnelle, des projets aboutis, la capacité à le faire savoir, à être reconnu pour celui-ci et en jouir de manière totalement momentanée ?

Cette définition qui mettrait finalement tout le monde d'accord n’en est à mon sens pas une. Ce souhait de regrouper toutes les définitions sous une définition globale est plutôt un refus de répondre ou bien pseudo-consensus social qui n’amène pas vers le questionnement mais la rejette en acceptant toutes les réponses.

L’intérêt du succès

Une autre question qui n'a finalement pas été abordée dans nos échanges et celle de l'intérêt de succès. Autant la définition du bonheur me semble importante, autant celle du succès l’est probablement beaucoup moins. En effet, est-il intéressant d'avoir du succès ou d'incarner le succès si on est malheureux ? Le bonheur n'est-il pas une condition préalable au succès ? Connaissez-vous quelqu'un qui connaisse le succès et qui n’est pas heureux ?

Nous finissons donc par reboucler sur la première définition du succès ; celle qui le lit directement au bonheur. Le bonheur n'est pas l'objectif ou la définition du succès mais simplement le chemin ou une condition préalable à un état furtif. Le succès n’existe pas sans bonheur et son insaisissabilité est un mirage social.

La côte du succès

Plutôt que de chercher une définition personnelle du succès qui sera probablement temporaire et qui sera amenée à être remise en question régulièrement, ne vaudrait-il pas mieux se poser la question de l'intérêt d'être ou d'avoir du succès ? Le succès n'est-il pas surcôté dans une société où, encore récemment, survivre, finir l'année, est déjà, en soi, une réussite ?

En 2020, conserver la majorité des emplois de son entreprise, faire preuve d'un petit peu de solidarité auprès de ses voisins, arriver à l'heure à une visioconférence, embrasser ses proches... ne sont-ils pas des exemples de succès simples ?

Vous aussi, faites l’exercice. Ne faites pas le bilan de 2020. Vivez le quotidien comme un succès. Concentrez-vous sur le bonheur de simplement exister. Si vous pouvez cumuler toutes les définitions du succès, cela profitera certainement au plus grand nombre, mais faites-le uniquement si ça vous intéresse.

Bonne année 2021 et tous mes vœux de succès.